lundi 3 juillet 2017

Gulliver




Le jour où j’ai enterré les livres
Les photos des camarades étaient en noir et blanc
Puis, mon père, sur cet amas
A greffé une jeune pousse d’orange avec une grenade
Et tout est devenu couleurs
J’ai grandi
Beaucoup grandi
Tellement grandi que nulle part je n’avais assez de place
Ma tête se cognait au plafond
J’étais obligé de marcher tête baissée
Aucune chaussure ne m’allait
La cellule d’isolement était petite et mes bras longs
Jouaient avec les nuages derrière les barreaux
J’ai noué les fils déchirés des cerfs-volants
J’ai perdu l’équilibre
Une armée de soldats nains
A tiré, et j’ai senti comme des aiguilles qui me piquaient
Je ne sais pas
Si je suis mort
Ou
Si je suis endormi !

Maintenant
Comme Gulliver
Je me réveille à Lilliput
Les nains m’on attaché les mains et les pieds

Et je suis allongé dans Bruxelles enneigé

L’OTAN



Les chemins qui mènent à l’OTAN
Sentent le gaz moutarde venu des champs de tournesols
Halabdja pleure dans mon poème
La météo dit que c’est la pluie


Liberté




Quand tu deviens clef dans la poche du geôlier
Je t’aime plus encore
Je tombe amoureux de toi
A tel point que j’oublie la blancheur de mes cheveux
Comme si j’avais vingt ans
Je trace une image de toi sur la buée de la vitre
Comme un fusil
Je divise tes parcelles
Même si je t’aime
Je te divise
On entend un coup de feu mais aucune vitre ne se brise
Ni morceaux de néon
Ni gaz lacrymogène
J’enfonce mes ongles dans le rêve
En enfer, au paradis
Il est cinq heures du matin à Evine[1]
Sur tous les tabourets, les grues,
Les poteaux, les pelotons d’exécution,
Toutes les morts, les vies
Pour du pain,
Pour des rires et des larmes,
Les joies, les chants
Et les formes géométriques
Je trace une image de toi sur la buée de la vitre
Mais tu n’es jamais là !
Sans forme, sans géométrie
Je tombe amoureux de toi
Je danse
Je deviens fou de toi
Pour toi, je suis tué tous les jours
Pour toi, je nais tous les jours





[1] Prison politique